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08/05/2015

L’inconnue du Canal

Voici le traitement de Gérard à partir de l'un de ses synopsis : "L’inconnue du Canal". Vous pouvez réagir en commentaires. 

Morne paysage sous un ciel gris et chargé, coincé entre la fin d’une banlieue industrielle et un début de campagne désert et sans charme.

Une petite voiture noire roule le long d’un chemin de terre bordant un canal d’eau boueuse. Laura, le regard fixe et vide, ressasse les tristes évènements de sa vie.

La mort subite et inexpliquée de son enfant dans son berceau, la détresse d’Alfonso qui secoue le bébé au visage déjà bleu avant de foncer vers les urgences ; la confirmation du décès par l’équipe de réanimation malgré plusieurs tentatives.

Par désespoir, son ami a préféré la fuite et quitté le domicile pour partir à l’étranger, la laissant seule et désemparée.

La voiture s’arrête, elle en sort avec une élégance naturelle et repousse la portière avec négligence. Est-elle distraite ? Pourtant sa démarche reste volontaire et déterminée. Elle parcourt cent mètres vers un pont métallique piétonnier. Elle s’y engage pour rejoindre l’autre rive. Un accès de colère contre l’adversité absurde et injuste de son sort monte en elle. Avec méfiance, elle regarde aux alentours à plusieurs reprises pour s’assurer de pouvoir accomplir son funeste projet.

Stoïque elle s’arrête, ferme les yeux, respire fort pour intensifier sa concentration à confirmer son obstination d’en finir. Dans un élan, elle enjambe la rambarde et se jette dans le vide.

Sa chute impacte avec violence la surface de l’eau froide. Elle est transie, lève son beau visage vers le ciel comme pour implorer du courage ; mais, tout son corps pourtant tétanisé, mu par des réflexes d’ancienne sportive, s’insurge contre son envie de mourir. Elle plonge de nouveau dans le flot pour s’anesthésier, aspirer l’eau, bloquer sa respiration. Quelqu’un appelle, elle entend un cri.

Benjamin, cheveux au vent sur son vélo, se laisse divaguer avec adresse entre les flaques et les ornières du chemin. Il garde son équilibre à la faveur de savantes contorsions et cabre aussi sa bécane pour se défier en de nouvelles prouesses. C’est un jeune homme mince et téméraire ; il a vu au loin une ombre sauter et perçut le choc. D’un trait, il fonce, quitte son engin et se jette dans le canal.

Elle vient de comprendre que mourir ne sera pas facile. Elle doit se battre pour revendiquer sa mort. Qui sera le plus rapide ? Elle, dans sa résolution à se noyer ou celui qui s’approche pour la sauver. « Arrêtez, arrêtez » crie le garçon. Si elle attend d’être affaiblie, elle deviendra une proie facile pour son sauveur qui la traînera en lieu sûr sur la berge, pratiquera les premiers secours, appellera les pompiers et la police. Ainsi, elle se verra sauvée et ridiculisée.

Tout a changé. Au lieu de se laisser couler elle respire et reprend des forces. Il est déjà face à elle. C’est un bel adolescent qui veut être célèbre, avoir sa photo dans les journaux, raconter partout son exploit. Il tend déjà une main vers elle pour l’agripper. Au lieu d’esquiver elle la saisit, la serre et la tire vers le fond. Surpris par la force de l’emprise, dans un dernier regard affolé, il ne dira plus rien. Elle tient fermement son bras et fait poids pour maintenir sa tête immergée. Il s’énerve, se démène pour se dégager, tente de la frapper du poing resté libre ; puis cesse peu à peu de s’agiter. Elle est fatiguée et tremblante. Il est sous elle, vaincu, inerte et mou. Elle sait que celui qui a essayé de lui voler sa mort ne bougera plus. Livide, il sombre entraîné part le courant. La vigueur retrouvée a brisé sa détermination d’en finir. Épuisée, elle rejoint la rive, s’extrait de la vase et sort de l’eau.

L’angoisse la saisit alors que la répétition du suicide est abandonnée. Si auparavant tout avenir n’existait plus, désormais elle est devenue une meurtrière. Il faut se taire, tout cacher, ne laisser aucune trace visible de son méfait. Elle a froid et son tailleur trempé dégouline d’eau sale. La clé de contact oubliée pend sur le tableau de bord. Lucide et pressée, elle repart. Elle va devoir se dissimuler pour rejoindre son appartement ; se faufiler dans le hall de l’immeuble en passant devant la loge du concierge et monter les escaliers en restant inaperçue.

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